mardi 26 mai 2015

Le petit mot...













Fermer la bouche sur le mot,
et le dessiner chants,
ouvrir la main, déplier les doigts,
oiseaux fragiles,
clore les yeux sur ce mot,
et le déposer en sillons moirés
le long de tes flancs,
raconter, raconter à en perdre la voix,
raconter ce mot qui roule,
délier la peau,
essaimer le désir,
ployer le cou,
y murmurer l'élan

Ecrire la chanson des gestes,
l'arrondi de l'épaule,
le goût brun sous la langue,
entrer dans l'eau
et, dans un temps immobile,
soudain arrêté,
entendre le soupir

Peindre le regard aux étoiles qui naissent,
enfermer l'éternité de cette minute qui s'allonge,
médaillon humide entre les seins,
enfouir son nez,
et ce mot qui danse, à la lisière des paupières

Petit mot de l'âme soudain déployée,
au bord de la langue suspendu,
bleus des profondeurs et rouges des feux,
vagues et houles,
accrochées aux doigts, arrimées aux mains renversées,

Ouvrir la bouche sur le mot,
esprit,
musiques lointaines,

Et dans le concert de cette pénombre qui s'invente,
un homme et une femme s'aiment, 
recréent ce mot à l'infini du désir,

Dans mon ventre qui raconte la vie,
j'ai enfermé le petit mot...

Mariem mint DERWICH

(Paul KLEE)


jeudi 14 mai 2015

Ailleurs....













Je marche dans ma mémoire,
là où les choses dorment,
je marche dans ma mémoire,
j'effleure les peintures sur les murs,
pose ma bouche aux odeurs,
replie ma main dans le souvenir d'une peau,
les notes d'une chanson

je fais les mille petits pas, en route sur les nuages,
et, au bout de moi, je m'en vais
là où les horizons disparaissent

Je marche dans les rues de mes instants perdus,
je bois aux regards déposés sur mon front,
je souris au mendiant aveugle qui joue de la viole,
et, dans son sourire, je m'invente neuve,
je marche dans ma mémoire ajourée,
en dentelles,
je prends la main tendue

je ferme les yeux à la pénombre, pose les chaussures au pied du lit défait
et, dans la transparence des images qui tremblent,
je dépose mon bagage

J'arpente les plages, les déserts, les villes, les aéroports,
les quais où j'ai abordé, terres inconnues
je marche dans les voluptés au goût de thé,
je noue mes doigts aux passés, les caresse au long de ma paume,
les joue sur ma langue
j'entrevois les larmes au bout des cils et la voix rauque de cris,
je dis

je laisse en mes bras les autrefois, tu y es,
et, dans l'éblouissement d'une rencontre,
je continue mes chemins

Je marche dans ma mémoire,
mémoire du corps, mémoire couleur eaux,

Et, au jour qui vient, je referme les volets sur ma balade...

A la nuit qui tombe, je repartirai et je te raconterai....

Mariem mint DERWICH

(Artiste : Ryan HEWETT)

mardi 12 mai 2015

Celle qui...













En moi, il y a eux, il a elles, il y a ceux des rêves,
celles des berceuses, mains tatouées, ouvertes, paumes odeurs,
il y a les chants dans les aubes, toutes les aubes,
ciselées aux branches des palmiers, endormies aux feuilles des baobabs

il y a les prières, les fronts dans la poussière, aux chemins des chapelets,
il y a le lait dans la calebasse, et le bébé qui pleure,

il y a ces voyages agrippés aux nuages, et ces corps inscrits dans les sillons des champs,
les mélopées qui chassent l'ennui du temps, bouches psalmodiantes,
il y a les contes des nuits, les histoires des grands mères
racontées sur la peau des enfants endormis

il y a les chevauchées, fantômes des vents de sable, danses guerrières,
il y a le bruissement des pagnes des femmes porteuses des marigots

il y a ces amantes, yeux magiques, reins déployés, seins offrandes,
les mots de l'amour, assoupis dans les cordes des tidinits, dans les souffles du n'goni,
il y a le dunduge qui gronde, peau vibrée, peau zébrée,
et les corps devenus mondes et musiques

il y a elle qui dessine dans le sable les traits qui racontent,
il y a le berger qui s'endort dans le souvenir du campement

il y a la femme qui pousse et qui crie et qui offre au monde son ventre enfant,
et le grand père qui ferme les yeux sur son dernier souffle,
il y a  la mariée qui crie son premier sang de femme,
et sous les étoiles, la vie qui recommence

En moi il y a les histoires infinies qui disent le nom, la lignée,
le lézard sur la dune, les mains sur les parois des grottes,
il y a le chasseur qui s'en va dans le soleil qui monte
et les minarets qui montrent le ciel

il y a en moi les ancêtres qui dorment, la tête vers l'Est,
les pierres d'Amogjarr, les rires bambaras de M'Bout,
les épopées du Wagadu et les lettres d'or des bibliothèques de Chinguetti

Je regarde ma peau, aux mille peaux,  je dessine sur le mur de mon front
les mots qui furent, les mots qui sont, les mots à inventer

Ma terre... mes sangs....mes notes...mes corps...mes chants...

Et, dans la mémoire qui danse, je deviens celle qui...

Mariem mint DERWICH

(Artiste Ysabelle ROBY PETREL)


jeudi 7 mai 2015

Je viens...













Creuser le sable, aspirer l'eau,
poser sa bouche au début des mondes,
mettre les vents et les chants de l'au delà dans son sac

et transporter sa vie au long des ravines

Fermer la porte de sa maison, clore les volets

Empoigner les chemins au travers des mots,
en faire des arcs en ciel et des gueltas,
un pas après l'autre, les pieds légers,
toquer à la porte des horizons
se dépouiller de ses contes, les contes de ce qui fut,
pour chanter les histoires de demain

et transporter ses lignées au long des mémoires premières

Tirer les rideaux sur le lit défait où les fantômes dorment encore

Dans le livre des corps retrouver le chemin du désir,
celui du fou, celui de la folle, celle qui danse la nuit sous les étoiles,
ré inventer les gestes de l'amante aux frissons de la main de l'homme,
ployer, ployer encore, et ouvrir ses yeux dans le plaisir,
oreille blanche, oreille noire, notes saupoudrées,
inscrire l'amour, de ses doigts en voyage sur la peau

et chuchoter les mots des départs au long des hanches offertes

Fermer les yeux de ceux qui furent là, à jamais endormis en ce lit

S'envoler dans les pluies d'hivernage, devenir eaux et nuages,
marcher, respirer, enfin nue, lavée du malheur,
essuyée dans le commencement de la nuit, quand le soleil s'endort là bas,
là bas dans le reflet des illusions du jour.
Nuit profonde, nuit des mariages, nuit you you, nuit de l'épousée,
dialdiali aux reins comme une page ouverte sur le corps devenu bat'ha

et inscrire sur la table désertée : je viens.

Rattraper cette petite fille qui joue à la marelle sous le soleil,
toute à son jeu,
quartier bruissant,
tam tam des pilons dans les cours,
au bout du ciel, elle dessine des départs et des rêves acidulés
où elle est, de nouveau, oiseau aux ailes grandes ouvertes.

Fermer les yeux et s'ouvrir aux mondes....

Je viens...

Mariem mint DERWICH

(Artiste : Haïdara)