lundi 16 mai 2016

silences...

Il en faut des silences et des mots du silence, EN silence, pour dire, pour écrire, pour parler.
De cette écriture devenue parole, celle qui sort, qui vient, qui repart, qui meurt dans la douleur de l'expulsion.
Il en faut des intimes pour vivre, pour tenir, pour avancer, sur cette page blanche qui devient coeur et battement. Dans mes doigts qui dansent j'entends le pointu, l'acéré, le sanglot mais, aussi, la joie.
Coudre ses lèvres pour que les mots naissent, voici l'écriture.
Fermer ses lèvres, devenir silence pour que les mots soient parole muette, ce cri silencieux de la parole devenue oiseau.
Je n'ai jamais su dire, exprimer, dire cette parole langage, cette parole partage. Je suis orpheline de ma parole.
En cette parole mère et père, ces silences nés dans les profondeurs d'une douleur, il faut inventer, encore et encore, ce qui dit, ce qui ne se dit pas, ce qui est, ce qui n'est pas.
Le silence des grands fonds, des abysses, expulsé en silences des surfaces.
Ecrire c'est mourir et mourir encore et renaître en silences.
Je n'écris pas. Je parle. Je parle en silence.
Je dis mes silences, ravageurs, apaisants.
Un jour mes mains sont devenues langue. Et cette langue est devenue silence. Et ce silence est devenu mer, eau. Et ce silence que je porte en moi n'est pas silence imposé, pas de ce silence de l'amertume. il est le silence entraperçu derrière le silence quotidien.
Ma parole silence est ma langue des signes.
En chaque mot je pose une lettre, une syllabe, un alphabet sans sons. un alphabet qui redit à la main que le regard doit être fermé, qu'il faut empoigner tout au fonds, dans le ventre, qu'il faut poser ses mains sur ce qui bat en nous , qu'il faut le dépouillement du mot silence, le dépouillement..
En chaque silence une fulgurance. En chaque mot une fulgurance...
Redevenir langue, lèvres, fleuve...
Ecrire en silence, écrire en mots.
N'être que ce lien qui me relie...
Silence et mots, silence mots, silence, mots...
Et je parle...

Mariem mint DERWICH




J'ai ouvert mes bras et ôté mes yeux...













J'ai ouvert ma maison aux vents des grands larges,
et dans cette maison devenue corps
j'ai posé ton prénom,
lettre après lettre,
chacune liant les autres,
odeur de miel
odeur de lait
odeur d'encens

J'ai ouvert mes bras, j'ai ôté mes yeux

Dans cette maison devenue vagues,
j'ai posé mon nom, le Mim devenu Alif,
j'ai dessiné les racines et l'arbre de vie,
les feuilles qui entendent,
les fleurs regards,
et toi en lisière de mon souffle

J'ai ouvert mes bras et ôté mes yeux

Au coquillage posé à mon oreille,
j'ai murmuré les sables, les feux, le dessin du souffle,
mes doigts écartés, jeu d'enfant,
le précieux de la paume en ta paume déposée

J'ai ouvert mes bras et ôté mes yeux

j'ai remonté le mur, briques après briques,
pierre après pierre,
j'ai remonté le mur et je l'ai, de nouveau, détruit,
recommencement du balancier
et ton prénom qui continue de danser aux frontières perdues

J'ai ouvert mes bras et ôté mes yeux

Le monde né rondeurs, lointains, prières,
et mon corps en allers retours,
se posant et là et là et ici et ici,
houle, houle, houle,
clore sa bouche,
ouvrir sa langue
et ton prénom qui vole

J'ai ouvert mes bras et ôté mes yeux

je me suis déposée au creux de la dune,
dans la courbe brodée ligne,
je me suis déposée au creux de la dune,
j'y ai posé les lettres de ton prénom

et me suis endormie...

Mariem mint DERWICH

(Artiste : Carol Carter)


dimanche 15 mai 2016

Entre deux...













J'ai toujours ma bouche à ta bouche posée,
allongée en ta langue,
endormie en souffle,
entre deux silences,
entre deux chansons

J'ai toujours ma bouche à ta bouche essaimée,
mouvement fluide du mot devenu eau,
mes lèvres mains, mes lèvres peau, mes lèvres, tes lèvres,
entre deux prières
entre deux lointain

J'ai toujours ma bouche à ta bouche écoutée

Et en ta bouche à ma bouche devenue,
je deviens tes yeux et tes contes,
je grave la paix et l'envie et le désir et les chants des corps
en ta bouche mienne
je berce ce qui vient
petits cailloux des amours

J'ai toujours ma bouche à ta bouche liée

Entre deux espace
entre deux univers
entre deux étoiles
entre deux nous inscrit en respirations

J'ai toujours ta bouche à ma bouche récitée

Entre deux....

Mariem mint DERWICH

( Artiste : Chagall)


samedi 14 mai 2016

Pays, tu leur raconteras....












Tu leur raconteras, pays mien,
tu leur raconteras ta fille, fille parmi tes filles,
fille parmi tes hommes,
tu leur raconteras les vents qui l'ont fait naître,
tes vents de l'Est et tes vents de la mer.
Tu leur diras qu'à ses chevilles elle porte tes dunes,
tes contes,
tes griots,
tes notes de lune,
tes notes de soleil.
Tu leur diras qu'elle est fille tienne,
née et née encore,
à chaque aube,
dans chaque chant des mosquées.

Tu leur raconteras, pays mien,
la lignée, le nom des siens,
l'odeur de sa mère,
le rire des murs de pierre,
là bas dans la ville qui dort.
Tu leur raconteras qu'elle a posé ses mains,
en obole aux parois d'Amogjjar,
aux murs de la grande ville,
aux chants de la nuit bavarde.

Tu leur diras, aux siens,
qu'elle est ton nom,
dans la splendeur soudaine d'une aube,
dans le repli d'une batha,
dans la subtilité liquide d'un marigot,
tu leur chanteras qu'elle est fille des nuages,
fille des mots fantômes.
Tu leur raconteras qu'elle porte l'amour,
l'amour,
l'amour

Tu écriras dans la poussière des pistes,
tu écriras qu'elle a la couleur ocre de ses mémoires,
qu'elle a enfanté des rêves,
des petits d'homme auxquels elle a soufflé son nom matrice.
Tu leur diras, tu leur diras, les campements,
qu'elle est sang et chair, sang
sang

Tu leur raconteras qu'elle est fille des rencontres,
fille métisse, fille racines, fille mangue, fille datte,
tu leur diras qu'elle dort dans la calebasse des mondes,
qu'elle est le lait qui court sur la peau,
tu leur diras qu'elle est yeux ouverts, tes yeux,
tu leur diras qu'elle porte ton nom,tes noms, tes incantations,
tu leur raconteras, aux siens, qu'elle dort sous les pierres des cimetières,
dans la prière de ceux qui restent et espèrent.

Tu inscriras à leurs regards brûlés, ton nom,
mon nom,
leurs noms

Et, dans l'infini qui est, tu deviendras pays intime....

Mariem mint DERWICH

(Artiste : Frédéric Hebraud)

vendredi 13 mai 2016

musique













Et il y aura des balancements, des allers retours,,
la douceur d'une main qui écrit,
le souffle déposé au creux du cou,
une musique dans la pénombre.

A la fenêtre s'endormira un oiseau

Il y aura des pluies abandonnées aux feuilles,
des rires montant de la cour,
une table, des bols, du pain,
une robe assoupie sur une chaise

Il y aura le soleil en flaques sur le sol,
quelqu'un qui tape à la porte,
un parfum fugitif,
une histoire enfuie

Au mur je poserai un rayon de miel

Il y aura un lit comme un voyage,
des draps froissés,
un souvenir de sieste,
une photo

Et la main qui écrit, qui écrit,
cette lettre qui ne partira jamais

Et dans ma mémoire je dessinerai ce qui n'est pas venu,
j'inventerai des couleurs,
je mettrai des notes à l'horizon,
je ferai de mon regard une île

J'ouvrirai les bras à la nuit qui vient
je laisserai les vents entrer,
défaire la chambre,
orner les murs

je deviendrai jardin

et tu seras là.

Mariem mint DERWICH

(Artiste : Ademaro Bardelli)


Lumière...













Je
Tourner, tourner jusqu'à l'arrondi du Verbe,
tourner au bout du bout,
dans le grand commencement, Fin et Tout et Début

Je
Main au ciel et âme,
être hors et en, devenir ce mot lumière
étoile, galaxie, univers

Je
Tourner encore, dans la fulgurance prières,
tourner, n'être, n'être,
poser ma bouche aux confins de moi

Je
Entendre, entendre, entendre, ne plus entendre,
s'inspirer, s'expulser en atome
ciel après ciel, dans le chant des lointains de feu

Je
aux bouches des mondes qui s'ouvrent,
offrir ce qui monte, ce qui vient,
ce qui est et ce qui n'est pas

Je
absence, présence, verticalité du désir,
l'infiniment petit et l'infiniment grand,
silence des profondeurs

Je
Tourner, tourner, vide dans le délié de l'élan,
respiration, poussière,
vide

Je
imploser, consumer, recréer,
moi sans moi, moi en l'Infini,
chapelet de l'éternité devenue porte ouverte,
grain de poussière né papillon,
l'instant suspendu,
dépouillement
immatériel, corps, esprit, être sans être

et dans le dernier regard brûlé murmurer

Suis.

Mariem mint DERWICH

dimanche 8 mai 2016

Le désir et l'aimé...









Entendre la danse,
Implosion ultime,
Mettre la main au ciel et devenir musique
Poser les mots dans l'ailleurs endormi en nous
Frissons, prières,
L'inachevé devenu paupière et lèvres et salive et corps

Dessiner le poème qui vient,
Qui monte de la houle, vague et vague,
S'ouvrir coeur, s'endormir esprit,
Etre l'eau, le feu, la terre, l'air, le souffle
Regard de l'entre deux en boucle infinie
Devenir les quatre points cardinaux qui disent les mondes

A ta peau me glisser, celle qui dort en toi,
Tutoyer l'envie
Rêver le poème qui s'écrit

Refermer les doigts sur le poème qui vient...
Et à ta bouche murmurer l'arrondi.
C'est dans le silence de ton cou
Que la mer devient nuit.
Poser les mots caresses...
ta voix en voyages bleus.
Chuchoter à ton oreille,
Déposer du bout de la langue
Le désir et l'aimé.
Et, du bout de mes doigts devenus oiseaux, te dire...

Fulgurances des atomes dans ce poème qui vient,
Toi en moi, moi en toi
Dans la couleur des heures ré inventées
inspirer l'ultime geste.

Il est, dans la douceur de ma nuit, l'aimé, l'attendu

Et je lui dis, au long des perles de l'envie : " Je suis là"...

Mariem mint DERWICH

( Image : détail d'un mur du Palais Ennejma Ezzahra de Sidi Bou Saïd)