mercredi 10 juin 2015

Je te parle, pays....













Je t'empoigne, pays,
je brûle mes yeux à tes yeux,
je parle à ton regard

je te secoue, pays,
je te pose les questions d'avant,
je dessine la parole

je te dis : vois moi, pays,
vois celle qui est,
je crie dans ton cou

Je te parle, pays,
je te parle,
tu n'entends pas,
tu n'as jamais entendu

Quel nom m'as tu donnée, pays?
Quel sang as tu fait couler dans mes veines?
Quelle langue m'as tu offert en héritage?

Je te parle, pays,
je te parle,
je te parle depuis ma première parole
je te parle, tu ne me parles pas, pays

Au fonds du marigot gît la femme sans nom,
la femme sans papiers,
la femme sans tente

je te parle, pays,
je te parle, regarde moi quand je te parle,
tu es le Lam, le Alif, le Kaf, pays,
tu es éternité et présent

Au bout du minaret la femme s'imprime,
le femme sans homme,
la femme laissée

je te parle, pays,
je parle à tes ocres, à tes aubes, à tes nuits,
je parle à tes perles, à tes vents, à tes sables,
je te parle, pays, je te parle de cela et de tout

Regarde, pays, regarde la petite fille assise sur la dune,
regarde la...
elle n'a pas de lit, elle n'a pas de toit,
elle n'a pas d'identité

je te parle, pays,
à qui réponds tu?
je te parle...

je te parle et je te dis :
je suis, malgré toi, malgré eux, malgré nous...

je te parle, pays,
entends l'enfant

Mariem mint DERWICH

(Artiste : Paul KLEE)


lundi 8 juin 2015

Couleurs...













Et dans l'après, si je lançais les mots, si je les lançais au bout du monde,
si je lançais les mots à ceux qui vivent, à ceux qui rient, à ceux qui marchent,
si je lançais les mots, moi le fantôme ?

Si je disais aux hommes que leurs yeux sont miens, que leurs bouches sont miennes?

Dans un instant qui n'en finirait plus, je poserais un pied sur une terre nouvelle,
brumes du matin et rosée accrochée aux cils

Si je racontais aux hommes que les bleus de l'âme ne sont qu'ailes de papillons?

Dans la splendeur d'une parole accrochée, je murmurerais les mantras de l'enfant,
j'éparpillerais mon coeur en poussières d'éternité;
je porterais les mains du monde en collier entre mes seins
et sur la page qui se déroule, je dirais, je dirais, je dirais.....

Si je chantais aux hommes que le désir est aube première, que l'amour est notes de l'univers?

Que le ventre des femmes est terre, argile, fleuve, forêts...
que leurs cuisses sont troncs, pagodes, temples,
que sur leurs langues dorment les temps anciens, ceux qui respirent,

Si je brodais les hanches, les sueurs, les enfantements, les mots soupirs?

Je lance les mots, je les lance, je ploie mon cou et déroule mon bras,
je danse,
à mes reins j'ai accroché les rêves des hommes

Dans un envol de lumière, je refermerais mes mains en coquillages sur tes poèmes.

Si je m'asseyais, à l'ombre d'un manguier, pour écouter la voix de celui qui psalmodie,
que je posais ma tête sur ses cuisses et que je laissais ma chevelure s'ouvrir à sa mémoire?

Je danse, femme enfant, je danse, je danse mes voix, je danse les couleurs, je danse les histoires
je danse et je m'ouvre aux  vents qui viennent de l'Est

Et, dans le point qui est Tout, je deviens la frontière perdue...

Mariem mint DERWICH

(Artiste : Sidi Yahya)